Capter et séquestrer le CO2 : une option pour la Suisse ?

Si la Suisse décidait de produire une partie de son électricité à partir de centrales à gaz, il serait techniquement possible de capter leurs émissions de CO2, pour ensuite les stocker en profondeur dans le sous-sol ou les valoriser dans des processus industriels. Mais tant que le prix des émissions de CO2 fossile rejeté dans l’air reste bas, ces stratégies n’offrent aucune rentabilité. Par ailleurs, la méfiance croissante du public à l’égard de la séquestration du CO2 constitue un obstacle supplémentaire.

La combustion d’un produit fossile – qu’il s’agisse d’essence dans une voiture, de mazout dans une chaudière ou encore de charbon ou de gaz naturel dans une centrale électrique – est un processus qui émet du dioxyde de carbone (ou gaz carbonique, CO2). Le CO2 étant un gaz à effet de serre, il contribue au réchauffement climatique.

La technologie permettant d’extraire et de capter le CO2 présent dans les gaz de combustion existe depuis les années 1930. On pourrait ensuite stocker de façon permanente ce CO2 notamment dans des formations géologiques étanches, généralement à un kilomètre de profondeur. Dans ces conditions, le CO2 réagit peu à peu avec les roches, et se transforme progressivement en calcaire. Le processus est lent, de l’ordre de 10 000 à 20 000 ans. Cette stratégie, connue sous le nom de CCS (de l’anglais Carbon Capture and Storage) est la seule technologie actuellement disponible permettant de réduire les émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles – à part, naturellement, la possibilité de ne plus brûler ces combustibles !

Pour des questions de complexité et de poids embarqué, le CCS ne s’applique généralement pas aux sources d’émissions mobiles, comme les avions ou les voitures. Le CCS concerne donc des installations fixes, comme les centrales électriques au charbon ou au gaz, ou des installations industrielles telles que des cimenteries, qui peuvent être équipées avec cette technologie. En théorie, le potentiel du CCS est gigantesque. À l’échelle mondiale, les centrales thermiques alimentées aux combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) émettent à elles seules près de 14 milliards de tonnes de CO2 chaque année, soit environ 40 % de toutes les émissions d’origine humaine. L’ampleur de ce chiffre montre bien l’enjeu crucial du CCS. En Suisse, il existe des formations géologiques adaptées pour le stockage géologique du CO2. Le cas échéant, nous pourrions donc recourir au CCS à grande échelle.

Mais alors… si nous disposons d’une technologie puissante et mature pour réduire les émissions de CO2, pourquoi ne pas l’utiliser ? Les raisons sont principalement économiques : le CCS augmente le coût de production de l’électricité de 50 à 90 %, à cause de l’investissement important requis et de l’impact négatif de la capture du CO2 sur l’efficacité énergétique des centrales. Le CCS deviendrait rentable à partir d’un prix des émissions de CO2 estimé entre 50 et 100 francs par tonne, soit au-dessus du prix du marché en Europe qui se situe en 2019 aux alentours de 35 CHF par tonne de CO2. En Suisse, la taxe sur le CO2 s’élève en 2019 à 96 CHF/tonne [→ Q83].

De plus, la population apparaît de plus en plus réticente à l’idée d’injecter de grandes quantités de CO2 sous la surface, à proximité des régions où elle vit. Au lieu de le séquestrer en sous-sol, il serait théoriquement possible de valoriser le CO2 dans des processus industriels de production de combustibles, de fertilisants ou de matériaux de construction. Cette approche est connue sous le nom de CCU (de l’anglais Carbon Capture and Utilisation). Le potentiel de ces technologies de valorisation, actuellement en phase de développement, est cependant controversé au sein de la communauté scientifique. Compte tenu que ces approches vont toutes consommer de l’énergie, elles pourraient néanmoins s’avérer pertinentes pour utiliser des surplus de production d’électricité renouvelable.

Les incertitudes sur le prix futur du carbone, l’ampleur des investissements de départ nécessaires pour les dispositifs techniques, l’incertitude sur les options de valorisation du CO2 et finalement les préoccupations du public, constituent ainsi des obstacles majeurs à la diffusion des stratégies de CCS et de CCU. De nombreux programmes sont en cours pour vérifier l’innocuité de la séquestration et pour faire baisser les coûts des procédés, mais il faudra plusieurs années pour valider les résultats de ces recherches. Les perspectives pour l’adoption du CCS ou du CCU à grande échelle demeurent donc très incertaines, même si de nombreux projets pilotes existent dans le monde.

Ceci étant, si une volonté politique visant à limiter drastiquement les émissions de gaz à effet de serre émerge, les approches de CCS et CCU pourraient s’avérer les seules capables d’infléchir la courbe du réchauffement climatique à court terme. Leur mise en œuvre aurait pour effet d’augmenter les prix de l’électricité fossiles et, par voie de conséquence, permettrait aux énergies renouvelables de devenir plus rapidement compétitives. Dans un tel contexte, il n’est pas exclu que le CCS et CCU puissent trouver un modèle d’affaires viable en Suisse.

Références

Berend & others (2014)
& (). Introduction to carbon capture and sequestration. World Scientific.
European Commission (2019)
(). EU emissions trading system (EU ETS). [Online]. Available at: https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_en.
Office fédéral de l’environnement (OFEV) (2019)
(). Taxe sur le CO2. [Online]. Available at: www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/info-specialistes/politique-climatique/taxe-sur-le-co2.html.
Suivant